L’altérité, tous semblables, tous différents


Photo - Moto Takashima - 04-2014

 

Cet article, un peu difficile, tente d’expliquer, je l’espère, avec des mots simples, une contradiction fondamentalement humaine.

Nous sommes tous semblables (parce que nous appartenons à l’espèce humaine, que tous les métissages sont possibles)

et tous uniques (mes gènes ne sont que les miens, ils ne peuvent être partagés avec un autre – sauf dans le cas des jumeaux homozygotes -).

 


 

Imaginons un instant que nous serions tous semblables… 

Noyé dans la masse des « semblables », nous ne pourrions plus être différents les uns des autres (il suffit de voir à quel point cela dépersonnalise de voir un « meeting » nord-coréen…). C’est à dire que nous n’existerions plus en tant qu’individu. Nous serions devenus des numéros, des choses, des dossiers… Dans le monde du travail, nous dirions « un pion ».

5015260495_f1f67556df_bL’indifférenciation et sa conséquence directe, à savoir l’indifférence nous guette et c’est insupportable… D’autant plus dans une société où il est terriblement valorisé d’exister par soi-mêmed’être unique

D’ailleurs, notre société de consommation offre… à la condition que nous puissions avoir les moyens financiers d’y accéder… tous les moyens possibles pour nous différencier des autres… (mais tout en étant du coup comme tous le monde?). Il suffit de regarder autour de nous à quel point, l’extension de nous-mêmes qu’est devenue le téléphone est « semblable » aux autres et si particulièrement personnalisé. Les techniques de marketing s’appuient depuis longtemps sur ce levier psychique…

 


 

Imaginons alors un instant que nous serions seulement différents.

Déjà, j’ai envie de dire, c’est plus simple. Nous en avons l’habitude… Mais jusqu’à un certain point seulement.

Les « autres » nous font quand même un peu peurcelles et ceux qui ne nous ressemblent pas, celles et ceux qui n’ont pas les mêmes coutumes, les mêmes religions, la même sexualité (en imaginant qu’il existe deux « mêmes » sexualités…), les mêmes traditions, les mêmes cuisines, les mêmes recettes, les mêmes habitudes, les mêmes chaussures, les mêmes voitures, les mêmes… les mêmes… les semblables…

Ils nous font peur, parce qu’ils ne nous ressemblent pas… trop uniques, trop différents…

Ces étrangers étranges qui viennent d’ailleurs et qui apportent leurs lots d’étrangetés si dérangeants…

Qui n’a jamais entendu quelqu’un nous dire : « Moi je n’aime pas les noirs, sauf mon voisin, super sympa, c’est un malien » ? C’est parce que c’est mon voisinquelqu’un de « proche », qu’il fait moins peur… « Et puis, lui au moins, il n’a pas trente six mille femmes »…

Au moins entre soi, entre « nous », il n’y a pas besoin d’expliquer, d’expérimenter d’autres goûts, pratiques, saveurs, techniques…

« On sait »… J’ajouterai… à peu près, à quelques détails près

 


 

L’enfer, c’est les autres, disait Jean-Paul Sartre.

 

Si nous comprenons bien…

Nous sommes tous descendants de nos semblables mais nous devons nous en différencier pour exister par nous-mêmes.

Pourtant, nous sommes entourés, enfermés, envahis par les autres.

Difficile de vivre sans les autres.

Difficile de vivre sans remarquer les différences… de sexe, de classes sociales, de pratiques, même au sein même d’une famille… L’étrangeté existe dans le regard même d’un bébé qui vient de naître, qui pleure face à des parents désemparés par ces mêmes pleurs dont ils ne peuvent pas comprendre le sens… Le « Grand Autre » disait Lacan d’ailleurs… 🙂

 


 

L’une des voies possibles de sortie de cette « contradiction » entre tous semblables, tous différents, est d’accepter cette différence, car elle n’est pas dépassable.

L’altérité, c’est une posture, une façon de percevoir le monde, une philosophie de vie qui consiste à dépasser cette étrangeté, de faire « un pas de côté » et d’accepter ces différences… qui, par ailleurs, sont inhérentes à l’existence même de l’être humain.

L’altérité, c’est aussi réaliser qu’en soi-même, il y a plusieurs « identités », « personnes », qui co-habitent, qui parfois se contre-disent et qui, dans d’autres circonstances, se battent l’un contre l’autre… L’exemple type est lorsque nous faisons des choses que nous pensions ne pas avoir envie de faire, d’être enfermés dans nos « contradictions »…

Bien sûr, c’est tellement plus rassurant de penser que nous sommes tous « un » et cohérent…

Mais c’est parce que je m’accepte incohérent et contradictoire, que cette acceptation est assumée, que ma propre identité se forge et je me libère des carcans binaires qui me fige dans l’opposition et non l’intégration.

 

@Moto_Takashima


A propos Moto Takashima

Moto Takashima est psychologue du travail, gérant de Métissages et responsable éditorial d'iVa. Dans d'autres langues, ça s'appelle Community Manager. :p