Institué, instituant, institutionnalisation : instituQuoi ?


Le mardi, c’est théorie !

instituquoi

« Monsieur, InstituQuoi ? » – un étudiant de psychologie.

Les institutions sont des ensembles remarquables de complexité. Attention, complexité ne veut pas forcément dire compliqué. Quoique nous pouvons tous sortir un exemple de notre expérience faisant état de nombreuses complications. Mais reprenons.
Les institutions sont des ensembles basés sur un objet (soin, formation, éducation, accompagnement etc.) sur la différence, et la cohabitation (pacifique ou belliqueuse, selon les exemples) entre des éléments hétérogènes. Différences de générations, différences de postes, différences de cadres, différences de locaux, différences de territoires, différences de réalités etc. etc.

Dans les institutions, des forces sont en jeu, des tensions, des sujets, des dimensions, des coups d’éclats, des rires. Des histoires se déroulent. Des valeurs s’y actualisent et soutiennent les investissements à la fois collectifs et personnels. Et puis il y a le contexte culturel, ou encore social-historique (à la C. Castoriadis). Car les espaces sociaux ne peuvent pas se satelliser de leurs ancrages historiques et inversement.

Ces mouvements, ces dynamiques, ces choses qui bougent, qu’on tente de saisir pour qu’elles puissent mieux nous éviter, ces éléments qui nous aident à maintenir une action, une idée, un projet. Vous avez déjà essayé d’attraper une idée ? Voilà l’instituant. Les forces motrices, diraient Rémi Hess.

Mais pour avancer, il faut un cadre. Parfois, pour véritablement se souvenir d’une idée et pour la mettre en pratique, on l’écrit sur un support. On aime bien les cadres, nous européens de l’ouest et du centre. Des éléments qui permettent de soutenir une différence. Des éléments qui permettent de se constituer des parois à la fois rassurantes mais ouvertes sur le monde. Il faut des fiches de poste, un emploi du temps, des liens hiérarchiques, des instances d’intendance, de la logistique, etc. Il faut un local, il faut élaborer une temporalité propre (ou calquées sur un modèle, voire une norme ?). Il faut payer des factures, s’occuper des ampoules qui grillent, ouvrir une ligne téléphonique, tisser un réseau de partenaires, recruter des professionnels, etc. Un (des) cadre(s) pour pérenniser l’existence légale, sociale, humaine. Pour que la société puisse reconnaitre cette existence. Tout ceci compose et est traversé par l’institué.

L’institutionnalisation, notamment selon R. Lourau, serait donc la lutte, la conflictualité entre l’institué, ces forces qui assurent et font socle, et l’instituant, cette effervescence des idées, cette richesse des valeurs, cette fraicheur des investissements des uns et des autres. Tous ces joyeux éléments difficilement miscibles, conflictuels, en lutte, en tension, sont pourtant complémentaires dans la vie des institutions et de ceux qui les rêvent, les font naître, les vivent et les croisent pour un temps plus ou moins long.

Trop rigide, l’institution devient cet objet froid. Sans vie. Sans saveur. Touchez la glace. C’est pareil. Ce serait comme penser la structure, les plans d’un bâtiment, faire plein d’étiquette, de bannettes, etc. L’usage ? On verra sur le tas. C’est dans ce sens que vous pouvez avoir le plus beau des bâtiments HQE-BBC-MDR-PTDR mais que la vie à l’intérieur peut être glaciale.

Trop effervescente, elle est bordélique. Sans forme. Sans cadre. Éclatée. Éparpillée. Archipellisée (à la A. Green). L’investissement fuse dans tous les sens et donc se fatigue vite. L’énergie se diffuse, s’essouffle et vide l’espace. Ce serait un peu comme sortir dans la rue et crier : « J’ai une idée les gars ! » Mais oui, mais on fait comment ? « Bah, j’ai une idée quoi ! »

Mais à l’équilibre, entre les deux … Là, il est passionnant de travailler pour à la fois garder une fraicheur dans les esprits et des fondations suffisamment (à la D.W. Winnicott) rassurantes et assurantes pour continuer d’avancer. Pas trop étalé, pas trop rigide. Juste ce qui faut de tensions créatives. Facile à dire, difficile à faire … Mais quelle aventure !

Pour continuer à lire sur le sujet :

René Lourau, Analyse institutionnelle et pédagogie, EPI, 1971.

Vocabulaire de psychosociologie, Erès, 2004.

Crédits photo : Anonyme – Forwallpaper.com